SI T’ÉCOUTAIS COUTÉ1. LE FOIN QUI PRESSE2. GRAND’MERE GATEAU3. L’ODEUR DU FUMIER4. LE PATOIS DE CHEZ NOUS5. LA CHANDELEUR6. LE CHAMP DE NAVIOTS7. LE GAS QU’A MAL TOURNE8. APRES VENDANGES9. LE GAS QU’A PERDU L’ESPRIT10. LES MANGEUX D’ TERRE11. LE CHRIST EN BOIS12. LEU’ COMMUNE13. LES BREMAILLES14. IDYLLE DES GRANDS GARS COMME IL FAUT ET DES JEUNESSES BEN SAGES15. LES BRACONNIERS16. LES CONSCRITS17. COMPLAINTE DES RAMASSEUX D’ MORTS18. LES ELECTEURS19. MOSSIEU IMBU20. LE DERAILLEMENT21. SUR UN AIR DE REPROCHE22. LA TOINON1. LE FOIN QUI PRESSEAh ! Pour eun’ bell’ noc’, c’était eun’ bell’ noce !...Y avait — oui, d’abord ! — eun’ joli’ mariée, Y avait d’ la famill’ des quat’ coins d’ la Bieauce, Offrant des coch’lins à plein’s corbeillées ! Y avait d’ la mangeaille à s’en fout’ ras là : Des tourt’s à la sauce et des oies routies, Avec un bringand d’ petit vin d’ Saint-Y Qui r’montait d’avant le phylloxéra ! Y avait l’ vieux Pitance, un colleux d’ bêtises, Et l’ cousin Totor qu’est au « Bon Marché »... Ah ! ces Parisiens !... I’s sont enragés : Des chansons à fer’ pisser dans sa ch’mise !... Y avait des volé’s d’ jeuness’s raquillantes Qui dansaient en t’nant les gâs par el’ cou ; Y avait d’ l’amus’ment et d’ la bounne entente, Des gens ben gaîtieaux, d’aucuns mêm’ ben saouls ! Ah ! pour eun’ bell’... Mais c’est fini, la noce !... Au r’vouér à tertous ! I’ fait presque jour... Pitanc’ s’est r’levé su’ l’ fumier d’ la cour, Et les parents d’ Bieauc’ mont’nt dans leu’s carrosses, Si ben qu’i’s rest’nt pus qu’ tous les deux, à c’tte heure, Ell’, l’enfant gâtée élevée en ville, Et li, l’ grous farmier !... Dans la cour tranquille, Les coqs matineux saluent leu’ bounheur... Et v’là la joli’ marié’ qui s’appresse En faisant ronron comme eun’ tit’ chatt’ blanche Qui veut des lichad’s et pis des caresses. Mais quoué don’ ?... Soun houmme est là... coumme eun’ planche Piqué vis-à-vis le peignon d’ sa grange, Il a r’luqué l’ ciel d’eun air si étrange ! C’est-y qu’i sarch’rait à lir’ dans les nuages La bounne aventur’ de leu’ jeun’ ménage ?... « Hé ! Pierr’, — qu’a soupir’— c’est tout c’ que tu contes ? » Mais li, s’emportant coumme eun’ soupe au lait : « Non mais, r’garde don’ un peu l’ temps qu’i’ fait Couillett’ ! Tu vois pas la hargne qui monte ? Ca va mouiller dur, et ca s’ra pas long ! Mon foin, nom de guieu ! qu’est pas en mulons ! La mangeaille aux bêt’s qui va êt’ foutue !... En rout’ ! Mulonnons avant qu’ l’ieau sey’ chue ! » Et la v’là parti’, la marié’ tout’ blanche, Piétant dans son vouéle et ses falbalas, Portant su’ l’épaule eun’ fourche à deux branches, L’âm’ tout’ retourné’ de se r’trouver là... Quand qu’il était v’nu, pour li fer’ sa d’mande, Dans la p’ tit’ boutique où qu’ mourait son cœur, Alle avait dit « oui », tout d’ suite, sans attend’e, Se jitan vars li coumm’ vars un sauveur. Alle avait dit « oui », songeant, sans malice, Ell’ dont l’ corps brûlait à l’air des bieaux jours Qu’ c’en était, des foués, coumme un vrai supplice - : « Quand on a eun houmme, on a de l’amour ! »... Et la v’là fourchant le treufe incarnat, Sous l’ désir féroce et l’aube mauvaise, - A’nhui, dret l’ moment qu’a’ d’vrait êt’ ben aise, Coumme au Paradis, dans l’ fin fond des draps — Pasque, auparavant que d’êt’ dev’nu’ femme, All’est devenue eun’ femm’ de pésan Dont la vie est pris’, coumm’ dans un courant, Ent’ le foin qui mouille et les vach’s qui breument... Les tâch’s, l’agrippant au creux de sa couette, Mang’ront les baisers su’ l’ bord de ses lèv’es Et séch’ront son corps, tout chaud de jeun’ sève, Qui tomb’ra pus fréd qu’eun arpent d’ « guerouette » Les gésin’s bomb’ront son doux ventrezieau, Les couch’s râchiront sa pieau fine et pâle ; Et, vieille à trente ans, traînant ses sabiots, Abêti’ d’ travail, écœurdée du mâle, All’aura pus d’yeux qu’ pour vouer, à son tour, L’ ciel nouer su’ les prés couleur d’espérance, Esclav’ de la Terr’ jalous’, qui coummence Par y voler sa premier’ nuit d’amour. 2. GRAND’MERE GATEAUJ’ai s’coué les rein’s-claud’ du peurgnierPour les ramasser su’ la mousse ; J’ai fait guerner les perles douces Des groseilliers dans mon pagnier ; Pis j’ai renvarsé queuqu’s bounn’ liv’es De suqu’er blanc / su’ les fruits clairs Qui cuis’nt dans ma cassine en cuiv’e Et v’là d’ la lichad’ pou c’t’ hiver ! Ah ! les bell’s confitur’s varmeilles ! J’en ai aux peurn’s et aux grosseilles C’est pou’ les p’tiots Quand c’est qu’i’s vienront vouer leu vieille Grand’mèr’ / gatieau ! Quand c’est qu’i’s ont ben tapagé Ou ben raconté des histouères, Les p’tiots guign’nt le fin haut d’ l’armouère Plein d’ pots d’ confitur’ ben rangés, Et i’s dis’nt : « grand’mère, on te l’ jure, On a grand faim, on mang’rait ben. » Mais i’s lich’nt tout’s les confitures Sans fer’ de mal à leu’ bout d’ pain ! Ah ! les bell’s confitur’s varmeilles ! J’en ai aux peurn’s et aux grosseilles C’est pou’ les p’tiots Quand c’est qu’i’s vienront vouer leu vieille Grand’mèr’ gatieau ! Si je tourne l’ nez de d’ssus eux, Les brigands, grimpés su’ eun’ chaise, S’ bourr’nt de confitur’s à leu-z-aise Et s’en ernbarbouill’nt jusqu’aux yeux. Alors et c’est eun’ chous’ qui m’ brise, Mais c’est pou’ qu’i’s ne r’commenc’nt pus ! Faut que j’ corrig’ leu’ gourmandise Par eun’ bounn’ ciclé’ su’ leu’ cul ! Mais si j’ les cicl', / ces entêtés Braill’nt coumm’ des vieaux à la bouch’rie Et, pour calmer leu’s pleurnich’ries Qu’ mes carress’s peuv’nt pas arrêter, J’ dis à tout’s les mauvais’s figures, J’ dis à tous les p’tits airs grognons : « Allons, v’ aurez des confitures Si vous pleurez pus, mes mignons ! » Ah ! les bell’s confitur’s varmeilles ! J’en ai aux peurn’s et aux grosseilles C’est pou’ les p’tiots Quand c’est qu’i’s vienront vouer leu vieille Grand’mèr’ gatieau ! 3. L’ODEUR DU FUMIERC’est eun’ volé’ d’ môssieux d’ ParisEt d’ péquit’s dam’s en grand’s touélettes Qui me r’gard’nt curer l’écurie Et les « têts » ousque gît’nt les bêtes : Hein ?... de quoué qu’ c’est, les villotiers, Vous faisez pouah ! en r’grichant l’ nez Au-d’ssus d’ la litière embernée?... Vous trouvez qu’i’ pu’, mon feumier ? Ah ! bon guieu, oui, l’ sacré cochon ! J’en prends pus avec mes narines Qu’avec les deux dents d’ mon fourchon Par ousque l’ jus i’ dégouline, -I’ pu’ franch’ment, les villotiers ! Mais vous comprendrez ben eun’ chouse, C’est qu’i’ peut pas senti’ la rouse !... C’est du feumier... i’ sent l’ feumier ! Pourtant, j’en laiss’ pas pard’e un brin, J’ râtle l’ pus p’tit fétu qu’enrrouse La pus michant’ goutt’ de purin, Et j’ râcle à net la moind’er bouse ! — Ah ! dam itou, les villotiers, Malgré qu’on seye en pein’ d’avouer Un « bien » pas pus grand qu’un mouchouer, On n’en a jamais d’ trop d’ feumier ! C’est sous sa chaleur que l’ blé lève En hivar, dans les tarr’s gelives ; I’ dounn’ de la force à la sève En avri’, quand la pousse est vive ! Et quand ej’ fauch’— les villotiers ! Au mois d’Août les épis pleins Qui tout’ l’anné’ m’ dounn’ront du pain, Je n’ trouv’ pas qu’i’ pu’, mon feumier ! C’est d’ l’ordur’ que tout vient à naît’e : Bieauté des chous’s, bounheur du monde, Ainsi qu’ s’étal’ su’ l’ fient d’ mes bêtes La glorieus’té d’ la mouésson blonde... Et vous, tenez, grous villotiers Qu’êt’s pus rich’s que tout’ la coummeune, Pour fair’ veni’ pareill’ forteune En a-t-y fallu du feumier ! ! ! 4. LE PATOIS DE CHEZ NOUSDans mon pays, dès ma naissanceLes premiers mots que j’entendis Au travers de mon « innocence » Semblaient venir du paradis C’était / ma mère, toute heureuse, Qui me fredonnait à mi-voix Une simple et vieille berceuse, En patois... Dans mon pays, au temps des sèves, A l’âge où d’instant en instant, L’amour entrevu dans nos rêves Se précise dans le Printemps. Cueillant les fleurs que l’avril sème Un jour, pour la première fois, Une fille m’a dit : « Je t’aime » En patois... De mon pays blond et tranquille Quand je suis parti « déviré » Par le vent soufflant vers la Ville Mes vieux et ma mie ont pleuré. Pourtant, jusqu’au train en partance M’ont accompagné tous les trois Et m’ont souhaité bonne chance En patois... Loin du pays, dans la tourmente Hurlante et folle, de Paris, Où ma pauvre âme se lamente Un bonheur tantôt m’a surpris ! Des paroles fraîches et gaies Ont apaisé mes noirs émois : J’ai croisé des gens qui causaient Mon patois... 5. LA CHANDELEURL’hiver est long, les temps sont dursEt la vie n’est pas gaie. J’avons p’us d’ farin’ qu’eun’ mesur’ Dans un racoin d’ la maie. J’avons qu’un bout d’ salé pas cuit Dont l’ dessus est tout blême ; Mais coumm’ c’est la Chand’leur an’hui, Faisons des crêp’s tout d’ même ! C’est la Chand’leur, mes pauv’ers gens Faisons des crêp’s dans la ch’minée A seul’ fin d’avouèr de l’argent Toute l’année Pour dev’ni’ rich’ faut travailler. Que tout le mond’ se hâte ! Mari’, dans le grand saladier Tu vas battre la pâte. V’la d’ l’ajonc qui brûle en lançant Des tas d’ petit’s étouèles. Allons ! pé Mathieu, cré bon sang ! T’nez bon la queu’ d’ la poêle ! Disez les fill’s, disez les gas ! Qui qu’en fait sauter eune? Ah ! la bell’ crêpe que voilà ! Alle est rond’ comme eun’ leune, Eun’ Deuss’ ! Mari’ je n’ t’aim’rai p’us Si tu veux pas la prendre... Sacré couillon tu l’as foutu’ Au beau mitan des cendres ! C’est la Chand’leur, mes pauv’ers gens Faisons des crêp’s dans la ch’minée A seul’ fin d’avouèr de l’argent Toute l’année Depis que je fêtons cheu nous Quand la Chand’leur s’amène Je soumm’s ‘core à trouver un sou Dans l’ talon d’ nout’ bas d’ laine ; Mais pisqu’ an’hui nous v’là chantant Devant les crêp’s qui dansent, C’est toujou’s eun’ miett’ de bon temps D’ gagné su’ l’existence ! Pendant c’ temps-là j’ ruminons pas Nos mille et mill’ misères : Les vign’s qu’ont le phylloxera Et la vache qu’est en terre Et moué que j’ vas être vendu Bah ! si l’huissier arrive Je lui coll’rons la poêle au cul Pour y montrer à vivre ! 6. LE CHAMP DE NAVIOTSL’ matin, quand qu’ j’ai cassé la croûte,J’ pouill’ ma blous’, j’ prends mon hottezieau Et mon bezouet, et pis, en route ! J’ m’en vas, coumme un pauv’ sautezieau, En traînant ma vieill’ pat’ qui r’chigne A forc’ d’aller par monts, par vieaux, J’ m’en vas piocher mon quarquier d’ vigne Qu’est à coûté du champ d’ naviots ! Et là-bas, tandis que j’ m’esquinte A racler l’harbe autour des « sas » Que j’ su’ / que j’ souff’, que j’ geins, / que j’ quinte Pour gangner l’ bout d’ pain que j’ n’ai pas... J’ vois passer souvent dans la s’maine Des tas d’ gens qui braill’nt coumm’ des vieaux C’est un pauv’ bougr’ que l’on emmène Pour l’entarrer dans l’ champ d’ naviots. J’en ai-t-y vu d’pis l’ temps que j’ pioche ! J’en ai-t-y vu d’ ces entarr’ments : J’ai vu passer c’ti du p’tit mioche Et c’ti du vieux d’ quater’ vingts ans ; J’ai vu passer c’ti d’ la pauv’ fille Et c’ti des poqu’s aux bourgeoisieaux, Et suivi ceux d’ tout’ ma famille Qui dorm’nt à c’t’ heur’ dans l’ champ d’ naviots ! Et tertous, l’ pèsan coumme el’ riche, El’ rich’ tout coumme el’ pauv’ pèsan, On les a mis à plat sous l’ friche ; C’est pus qu’ du feumier à présent, Du bon feumier qu’engraiss’ ma terre Et rend meilleurs les vins nouvieaux : V’la c’ que c’est qu’ d’êt’ propriétaire D’eun’ vigne en cont’ el’ champ d’ naviots ! Après tout, faut pas tant que j’ blague, Ça m’arriv’ra itou, tout ça : La vi’, c’est eun âbr’ qu’on élague... Et j’ s’rai la branch’ qu’ la Mort coup’ra. J’ pass’rai un bieau souèr calme et digne, Tandis qu’ chant’ront les p’tits moignaux... Et quand qu’on m’ trouv’ra dans ma vigne, On m’emport’ra dans l’ champ d’ naviots ! 7. LE GAS QU’A MAL TOURNEDans les temps qu’ j’allais à l’école,- Oùsqu’on m’ vouéyait jamés bieaucoup, - Je n’ voulais pas en fout’e un coup ; J’ m’en sauvais fer’ des caberioles, Dénicher les nids des bissons, Sublailler, en becquant des mûres Qui m’ barbouillaient tout’ la figure, Au yeu d’aller apprend’ mes l’çons ; C’ qui fait qu’un jour qu’ j’étais en classe, (Tombait d’ l’ieau, j’ pouvions pas m’ prom’ner !) L’ mét’e i’ m’ dit, en s’ levant d’ sa place « Toué !... t’en vienras à mal tourner ! » Il avait ben raison nout’ mét’e, C’t’ houmm’ -là, i’ d’vait m’ counnét’ par cœur ! J’ai trop voulu fére à ma tête Et ça m’a point porté bounheur ; J’ai trop aimé voulouèr ét’ lib’e Coumm’ du temps qu’ j’étais écoyier ; J’ai pas pu fni’ en équilib’e Dans eun’ plac’, dans un atéyier, Dans un burieau... ben qu’on n’y foute Pas grand chous’ de tout’ la journée... J’ai enfilé la mauvais’ route ! Moue ! j’ sés un gâs qu’a mal tourné ! A c’tt’ heur’, tous mes copains d’école, Les ceuss’ qu’appernait l’A B C Et qu’écoutait les bounn’s paroles, I’s sont casés, et ben casés ! Gn’en a qui sont clercs de notaire, D’aut’s qui sont commis épiciers, D’aut’s qu’a les protections du maire Pour avouer un post’ d’empléyé... Ça s’ léss’ viv’ coumm’ moutons en plaine, Ça sait compter, pas raisounner ! J’ pense queuqu’ foués... et ça m’ fait d’ la peine : Moue ! j’ sés un gâs qu’a mal tourné ! Et pus tard, quand qu’i’s s’ ront en âge, Leu’ barbe v’nu, leu’ temps fini, I’s voueront à s’ mett’e en ménage ; I’s s’appont’ront un bon p’ tit nid Oùsque vienra nicher l’ ben-êt’e Avec eun’ femm’... devant la Loué ! Ça douét êt’ bon d’ la femme hounnête : Gn’a qu’ les putains qui veul’nt ben d’ moué. Et ça s’ comprend, moue, j’ai pas d’ rentes, Parsounn’ n’a eun’ dot à m’ dounner, J’ai pas un méquier dont qu’on s’ vante... Moue ! j’ sés un gâs qu’a mal tourné ! l’s s’ront ben vus par tout l’ village, Pasqu’i’s gangn’ront pas mal d’argent A fer des p’tits tripatrouillages Au préjudic’ des pauv’ers gens Ou ben à licher les darrières Des grouss’es légum’s, des hauts placés. Et quand, qu’à la fin d’ leu carrière, I’s vouérront qu’i’s ont ben assez Volé, liché pour pus ren fère, Tous les lichés, tous les ruinés Diront qu’i’s ont fait leu’s affères... Moué ! j’ s’rai un gâs qu’a mal tourné ! C’est égal ! si jamés je r’tourne Un jour er’prend’ l’air du pat’lin Ousqu’à mon sujet les langu’s tournent Qu’ ca en est comm’ des rou’s d’ moulin, Eh ben ! i’ faura que j’ieu dise Aux gâs r’tirés ou établis Qu’a pataugé dans la bêtise, La bassesse et la crapulerie Coumm’ des vrais cochons qui pataugent, Faurâ qu’ j’ leu’ dis’ qu’ j’ai pas mis l’ nez Dans la pâté’ sal’ de leu-z-auge... Et qu’ c’est pour ça qu’ j’ai mal tourné !... 8. APRES VENDANGESV’la les pesans qu’ont fait vendanges !V’la les perssoués qui piss’nt leu’ jus ; On travaille aux portes des granges A « rassarrer » l’ vin dans les fûts. L’ Vin ! Ça met des moignieaux qui chantent Dans les cœurs et dans les cerveaux, Mais moué qui n’ fait que d’ bouér’ de l’eau J’ me sens dans les boyeaux du vent’e Comm’ des guernouill’s qui font coin-coin... J’ vourai ben m’ foute eun’ saoulé de vin ! Tout l’ monde est saoul su’ mon passage, Mêm’ le Mair’ qui vient de marier Deux bourgeouésiaux d’ l’environnage, Et même itou Môssieu l’ Curé Qu’a vidé trop d’ foués son calice : M’en v’là des gens qu’ ont l’air heureux, I’s s’ donn’nt la main ou l’ bras entre eux, l’s s’étayent et s’ rend’nt el sarvice D’ ramasser c’ti qu’a culbuté, I’s s’embrass’nt su’ tous les coûtés Au nom de la fraternité. Et leu’s dégueulis s’applatissent Coumm’ des étouél’s le long du chemin. J’ vourai ben m’ fout’ eun’ saoulé d’ vin ! Allons les homm’s, allons mes frères ! Allons avancez-moué-z un verre, J’ veux fraterniser avec vous ; J’ veux oublier tout’ ma misère En trinquant et buvant des coups Avec les grands, avec les grous ! J’ veux aphysquer les idé’s rouges, Les idé’s roug’s et nouér’s qui bougent Dans ma caboch’ de gueux et d’ fou ; J’ veux vous vouér, et vouér tout en rose Et crouér qu’ si j’ai mal vu les choses C’est p’têt’ pas que j’étais pas saoul. Allons, avancez-moué-z un verre... J’ veux prend’ eun’ cuite à tout casser Et l’ souer couché dans un foussé Ou m’accottant à queuqu’s tas de pierres Pour cuver mon vin tranquill’ment J’ me rappell’rai p’têt’ la prière Que j’ disais tous les souers dans l’ temps, Et l’ bon Guieu et tout’ sa bricole Et la morale au maît’ d’école, Propriété, patrie, honneur, Et respect au gouvarnement, Et la longer’ des boniments Dont que j’ me fous pour le quart d’heure. Je trouv’rai p’têt’ dam’ qu’on a tort D’ voulouer se cabrer cont’ son sort, Que l’ mond’ peut pas êt’ sans misère, Qu’ c’est les grous chiens qui mang’nt les p’tits Et qu’ si j’ pâtis tant su c’tte terre J’ me rattrap’rai dans l’ Paradis. Allons les homm’s, allons mes frères ! J’ vois ben que j’ n’ai pas l’ drouet au pain, Laissez-moué l’ drouet à la chimère, La chimèr’ douc’ des saoulés d’ vin. 9. LE GAS QU’A PERDU L’ESPRITPar chez nous, dans la vieille landeOusque ça sent bon la lavande, Il est un gâs qui va, qui vient, En rôdant partout comme un chien Et, tout en allant, il dégoise Des sottises aux gens qu’il croise. Honnêtes gens, pardonnez-lui Car il ne sait pas ce qu’il dit : C’est un gâs qu’a perdu l’esprit ! - Ohé là-bas ! bourgeois qui passe, Arrive ici que je t’embrasse ; T’es mon frère que je te dis Car, quoique t’as de bieaux habits Et moi, des hardes en guenille, J’ont ben tous deux la mêm' famille Honnêtes gens, pardonnez-lui Car il ne sait pas ce qu’il dit : C’est un gâs qu’a perdu l’esprit ! - Ohé là-bas ! le gros vicaire Qui menez un défunt en terre, Les morts n’ont plus besoin de vous, Car ils ont bieau laisser leurs sous Pour acheter votre ieau bénite, C’est point ça qui les ressuscite... Honnêtes gens, pardonnez-lui Car il ne sait pas ce qu’il dit : C’est un gâs qu’a perdu l’esprit ! - Ohé là-bas ! Monsieu le Maire, Disez-moué donc pourquoi donc faire Qu’on arrête les chemineux Quand vous, qui n’êtes qu’un voleur Et peut-être ben pis encore, Le gouvernement vous décore. - Ohé là-bas ! garde champêtre, Vous feriez ben mieux d’aller paîtr Qu’embêter ceux qui font l’amour Au bas des talus, en plein jour ; Regardez si les grandes vaches Et les petits moineaux se cachent. - Ohé là-bas ! bieau militaire Qui traînez un sabre au derrière Brisez-le, jetez-le à l’ieau Ou ben donnez-le moi plutôt Pour faire un coutre de charrue... Je mourrons ben sans qu’on nous tue Et si le pauvre est imbécile C’est d’avoir trop lu l’Evangile ; Le fait est que si Jésus-Christ Revenait, au jour d’aujourd’hui, Répéter cheu nous, dans la lande Ousque ça sent bon la lavande. Ce que dans le temps il a dit, Pas mal de gens dirait de lui : « C’est un gâs qu’a perdu l’esprit ! » 10. LES MANGEUX D’ TERREJe r’pass’ tous les ans quasimentDans les mêm’s parages, Et tous les ans j’ trouv’ du chang’ment De d’ssus mon passage ; A tous les coups c’est pas l’ mêm’ chien Qui gueule à mes chausses ; Et pis voyons, si je m’ souviens, Voyons dans c’ coin d’ Beauce. Y avait dans l’ temps un bieau grand ch’min Cheminot, cheminot, chemine ! — A c’t’ heur’ n’est pas pus grand qu’ ma main... Par où donc que j’ chemin’rai d’main? En Beauc’ vous les connaissez pas? Pour que ren n’ se parde, Mang’raient on n’ sait quoué ces gas-là I’s mang’rint d’ la marde ! Le ch’min c’était, à leu’ jugé D’ la bonn’ terr’ pardue : A chaqu’ labour i’s l’ont mangé D’un sillon d’ charrue... Z’ ont groussi leu’s arpents goulus D’un peu d’ glèb’ tout’ neuve ; Mais l’ pauv’ chemin en est d’venu Minc’ comme eun’ couleuve. Et moue qu’avais qu’ li sous les cieux Pour poser guibolle !... L’ chemin à tout l’ mond’, nom de Guieu ! C’est mon bien qu’on m’ vole !... Y avait dans l’ temps un bieau grand ch’min Cheminot, cheminot, chemine ! — A c’t’ heur’ n’est pas pus grand qu’ ma main... Par où donc que j’ chemin’rai d’main? Z’ont semé du blé su l’ terrain Qu’i's r’tir’nt à ma route ; Mais si j’ leu’s en d’mande un bout d’ pain, I’s m’envoy’nt fair’ foute ! Et c’est p’t-êt’ ben pour ça que j’ voués, A m’sur’ que c’ blé monte, Les épis baisser l’ nez d’vant moué Comm’ s’i’s avaient honte !... O mon bieau p’tit ch’min gris et blanc Su’ l’ dos d’ qui que j’ passe ! J’ veux pus qu’on t’ serr’ comm’ ça les flancs, Car moue, j’ veux d’ l’espace ! Ousqu’est mes allumett’s ?... A sont Dans l’ fond d’ ma pann’tière... Et j’ f’rai ben r’culer vos mouéssons, Ah ! les mangeux d’ terre !... Y’avait dans l’ temps un bieau grand ch’min, — Cheminot, cheminot, chemine ! — A c’t’ heur’ n’est pas pus grand qu’ ma main... J’ pourrais bien l’élargir, demain ! 11. LE CHRIST EN BOISBon guieu ! la sal’ commune !... A c’ souèr,Parsounne a voulu me r’cevouèr Pou’ que j’ me gîte et que j’ me cache Dans la paille, à coûté d’ ses vaches, Et, c’est pour ren que j’ai tiré L’ cordon d’ sounnette à ton curé Et qu’ j’ai cougné cheu tes déviotes : Les cell’s qui berdouill’nt des pat’ nôt’es Pour aller dans ton Paradis... S’ment pas un quignon d’ pain rassis A m’ fourrer en travars d’ la goule... I’s l’ gard’nt pour jiter à leu’s poules ; Et, c’est pour ça qu’ j’attends v’ni d’main Au bas d’ toué, su’ l’ rabôrd du ch’min, En haut du talus, sous l’ vent d’ bise, Qu’ébranl’ les grands bras d’ ta crouéx grise. Abrrrr !... qu’i’ pinc’ fort el’ salaud ! Et j’ sens mon nez qui fond en ieau Et tous mes memb’ers qui guerdillent, Et mon cul g’lé sous mes guenilles ; Mais, tu t’en fous, toué, qu’i’ fass’ frouéd : T’as l’ cul, t’as l’ cœur, t’as tout en boues ! Hé l’ Christ ! t’entends-t-y mes boyaux Chanter la chanson des moignieaux Qui d’mand’nt à picoter queuqu’ chose ? Hé l’ Christ ! t’entends-t-y que j’ te cause Et qu’ j’ te dis qu’ j’ai-z-eun’ faim d’ voleux? Tell’ment qu’ si, par devant nous deux, I’ passait queuqu’un su’ la route, Pour un méyion coumm’ pour eun’ croûte, I’ m’ semb’ que j’ frais un mauvais coup !... Tout ça, c’est ben, mais c’est point tout ; Après, ça s’rait en Cour d’assises Que j’ te r’trouv’rais ; et, quoué que j’ dise Les idée’ s qu’ ça dounne et l’effet Qu’ ça produit d’ pas avouer bouffé, Les jug’s i’s·vouraient ren entend’e, Car c’est des gâs qui sont pas tend’es Pour les ceuss’ qu’a pas d’ position ; I’s n’ me rat’raient pas, les cochons ! Et tu s’rais pus cochon qu’ mes juges, Toué qui m’ voués vent’ creux et sans r’fuge, Tu f’rais pas eun’ démarch’ pour moué : T’as l’ vent’ , t’as l’ coeur, t’as tout en boué ! L’aut’e, el’ vrai Christ ! el’ bon j’teux d’ sôrts Qu’était si bon qu’il en est mort, M’ trouvant guerdillant à c’tte place, M’aurait dit : « Couch’ su’ ma paillasse !... » Et, m’ voyant coumm’ ça querver d’ faim, I m’aurait dit : « Coup’ toué du pain ! Gn’en a du tout frés dans ma huche, Pendant que j’ vas t’ tirer eun’ cruche De vin nouvieau à mon poinson ; T’as drouét coumm’ tout l’ monde au gueul’ton Pisque l’ souleil fait pour tout l’ monde V’ni du grain d’ blé la mouésson blonde Et la vendange des sas tortus... » Si, condamné, i’ m’avait vu, Il aurait dit aux jug’s : « Mes frères, Qu’il y fout’ don’ la premier’ pierre C’ti d’ vous qui n’a jamais fauté !... » Mais, toué qu’ les curés ont planté Et qui trôn’ cheu les gens d’ justice, T’es ren !... qu’un mann’quin au sarvice Des rich’s qui t’ mett’nt au coin d’ieu’s biens Pour fair’ peur aux moignieaux du ch’min Que j’ soumm’s... Et, pour ça, qu’ la bis’ grande T’ foute à bas... Christ ed’ contrebande, Christ ed’ l’Eglis ! Christ ed’ la Loué, Qu’as tout, d’ partout, qu’as tout en boues !... 12. LEU’ COMMUNELe cantonnier, menant le maire vers l’abri : Moué, lexis, quouéque tu veux que je te dise ?... j’en sais guère pus long que toué... C’est queuque passager !... Je l’ai trouvé l’âme à l’envers sous m’n’ abri et qui bouchonnait, qui bouchonnait, qui bouchonnait l’ devant d’ sa blouse à défaut d’ draps... Quand qu’on se met à bouchonner, c’est signe que la mort est pas loin !... Quoué faire ?... jamais ren faire sans le maire !... j’ai couru te qu’ri !... Et pisque nous v’là rendus tu vas ben vouer par toué-même. (Désignant l’abri.) Quiens ! il est là-d’dans ! (Poussant la brouette et passant sa tête sous l’abri.) Hé l’homme ! hé l’homme ! eh ben, quoué don?... Hé !... I’ répond miette ! I’ bouge pus !... Dam’ t’t-à-l’heure i’ bouchonnait : quand qu’on se met à bouchonner... ‘l est mort, ej’ crés ben ?... Regarde-don’ !Le maire, prenant la place du cantonnier : Mais c’est le traîneux qu’est entré c’ tantout à la mair’rie...Heu !... fait ben grise mine !... Enfin, si c’était qu’eune faiblesse, des foués ? Secoue-le don’ ‘core un peu !... Et pis, eune idée... passe-z-y vouer les verres de mes leunettes par en d’ssous le nez et d’vant la goule... J’allons nous rendre compte si i’ fait ‘core de la buée !... Le cantonnier, après l’expérience : Les v’là, tes leunettes !... et tu peux ben lire ton journal avec, si tu veux : c’est pas sa buée qui te barbouillera la vue !... i’ souffle pus !... c’est fini, quoué ! Le maire, : C’est fini !... c’est fini !... c’est fini... pour li, que tu veux dire... mais pour nous aut’es, ça va commencer, les embêtements !... Tu sais ben que c’est eune sale histouère qui nous arrive là. Mitaine ? Le cantonnier : Sûr que voui ! Le maire : D’abord, de quoué qu’i’ peut ben ét’ mort ?... pourvu que ça soit pas d’eune maladie qui se donne ?... c’est que j’aurions le germe au sein de la commune à c’tt’ heure. Le cantonnier : Oin !... mais non !... ‘l est mort, pasqu’il est mort !... ou mieux que ça, quiens !... pas la peine d’aller en chercher si long !... Il est mort... de besoin — tout simplement ! Le maire : T’as raison !... c’est probab’e... et ça vaut mieux !... Voui, c’ gâs, il est entré c’ tantout à la mair’rie... l’ voulait un secours... Le cantonnier : Et comme je voués, t’a pas jugé à propos... Le maire : Dam’, i’s sont tertous à demander des secours, les traîneux qui passent !... mais nom de guieu ! i’s se figurent don’que j’en avons à foutre par la fenêtre !... La commune est pas si riche et alle a ben assez d’indigents déjà... Ça me fait songer que j’allons ‘core en avouer eune de pus au bureau de bienfaisance : la veuve à Grison, Grison qui s’est tué en tombant d’un tremble, comme il émondait su’ la route, pour le compte de la municipalité... Le cantonnier : C’tte pauv’ femme ! Le maire : Enfin, elle !... qu’on la soutienne : bon, elle est d’ici ! mais les traîneux qui passent, ça ne nous regarde pas !... Après tout, moué, je connais qu’eune chouse : les secours de la commune doivent aller à ceuss qui sont de la commune... Qu’i’s aillent cheux eux, les traîneux, demander des secours !... I’s sont ben d’ queuque part ?... Le cantonnier : Y a pas d’aubours !... Et c’ti-là d’oùsqu’i’ peut ben ressourcer ?... je vas le fouiller !... p’tét’e qu’il a des papiers su li ?... Le maire : Ben rare !... j’y ai demandé à c’ tantout... s’il en avait yu, j’y aurais donné un mot pour aller jusqu’au canton... mais ren !... Du moment qu’i’ n’en avait point à produire dans son intérêt, guette, mon grous, qu’i’ va en avouer pour nous rend’e service ?... Fouille-le tout de même : j’en aurons le cœur net ! Le cantonnier, après avoir fouillé : Ma foué ! j’ai ren trouvé... Le maire : Qui don’ qui sait ?... P’t-ét’e qu’il a de la famille qu’aurait pu le reprend’e ?... mais à qui s’adresser, de c’tt’ affaire-là ?... Le cantonnier : De c’tt’ affaire-là... heu... Le maire : De c’tt’ affaire-là... va nous rester su’ les bras !... ‘acre nom de guieu de nom de guieu ! ! ! Vouéyons, Mitaine, va fallouèr aviser ? Le cantonnier : Si j’allais qu’ri les gendarmes ?... Le maire : Les gendarmes !... brusquons pas !... i’ sera toujou’s temps d’aller les qu’ri... Dans eune saprée machine comme ça, qu’est pas coutume, faut pas y aller en étourdieaux... Avisons d’abord ! Je sommes pas au bout de not’ tortillon, tu sais, Mitaine... Tu te fais-t-y seulement eune idée de tous les désagréments qui nous attendent ? Le cantonnier : Que si que j’ m’en fait ben une idée ; mais va y en avouer tellement !... Ren que pour commencer... on peut pas le laisser là... t’as-t-y un local sous la main pour l’installer en attendant le permis d’inhumer du médecin ? Le maire,: Le préau de l’école ?... c’est pas demain dimanche !... y a classe !... La salle de la mair’rie ? y a réunion du Conseil, à c’ souèr... c’est vrai, je voués pas d’endret, moue non pus ! Le cantonnier : Ça fait ren ! mettons qu’il est casé pour à c’ souèr. Demain ?... c’est un cercueil, c’est eune fosse... Le maire : Et c’est la commune, ‘turell’ment, qui sera obligée de li payer tout ça ! Le cantonnier : Après-demain, faura l’enterrer... y a guère possibilité de l’enterrer avant... Après-demain, justement ça tombe que c’est dimanche, l’assemblée !... Le maire : Voui, eun événement comme ça c’est pas fait bieaucoup pour faire rire la fête... Le cantonnier : Y a aut’ chose !... A queu bout du cimetière que tu comptes le mett’e ? Le maire : Ah ! dam... ça c’est à considérer ; faut ménager les suscesstibilités... A côté de qui qu’on pourrait ben le mett’e ? Le cantonnier : C’est à vouér’. Le maire : Et de ben prés, même ! de ben prés !... Y a des familles que ça pourrait formaliser de se vouer allonger en cont’e un de leurs memb’es un citouéyen comme c’ti-là ! Le cantonnier : Le fait est qu’y a pas de quoué se trouver flatté non pus !... Enfin, à part la rangée de l’ancien adjoint et celle de Mme de Brizon, la donatrice, ousqu’il est pas Dieu possible qu’on puisse seulement songer à le mett’e, je voués déjà pus tant de places que ça, dans le cimetière !... Le maire : Dam’, i’s’emplit un peu pus, tous les ans, de tous les ceuss que j’avons perdus dans l’année, et i’ date pas d’hier ! mais, au train que ça va là, si tous les étrangers viennent nous le boucher, où don’ que c’est que je nous ferons enterrer après, nous et les nôt’es ? Le cantonnier : J’ songe... el’ coin à Magloire le pendu ? Le maire : Voui... si Magloire le pendu était pas le bieau-frère à Suchet-Magloire du Conseil... un bon, qu’a toujou’s ben voté... On dirait que je manque de taqute ! Le cantonnier : Y a tout le temps des malintentionnés qui trouvent à redire su’tout !... Le maire : J’ sais ben... c’est justement pour ça... v’là les élections qu’approchent... Tu t’en rappelles, des dargnières ?... ben, mon gâs, i’s’ en est pas fallu des tas et des tas pour que M. Mothiron Gustave me monte su’ l’ pouél... M. Mothiron Gustave, qu’est venu établi’ sa fabrique cheu nous, v’là core pas neuf ans, me monter su’ l’ pouél à moué, natif d’icite, maire depis j’ sais pus comben, qui s’a toujou’s mis en quat’e pour la commune !... quoué que tu dis de ca, toi le Mitaine ? Le cantonnier : Je dis que la faute en est aux ouvriers qu’i’ fait veni’ de côtés et d’aut’es, mais que le monde d’icite sait ben que M. Mothiron Gustave c’est tout ce qu’on voura : eun honnête homme, eun homme capable, un sincère républicain, p’t-ét’e ?... mais que pour ét’ de la commune : il en est pas : et que, par conséquent, i’ peut pas en connaît’e les besoins comme toué ! Le maire : Enfin, quoué qu’i’ ferait, li, M. Mothiron Gustave si qu’i’ serait à ma place à c’tt’heure ?... ‘serait p’t-ét’e ‘core pus emprunté que moué ? Le cantonnier : Ça se pourrait ben, va lexis ! Eh ben, t’as avisé... quoué que je faisons ?... Le maire : Hein ?... ‘acre nom de guieu de nom guieu de galvaudeux !... i’ pouvait pas seulement aller querver pus loin ? Le cantonnier : Pour ça, il avait pas des masses de chemin à faire... Le maire : . C’est vrai... v’là le champ à Bouzier, là, devant nous, tout en luzarne... j’ai ‘core vu l’aut’e jour, su’ le cadastre, que c’était le champ à Bouzier qui faisait la limite de la commune, du côté de Bucy. Le cantonnier : Quiens, j’avais toujou’s eu idée que c’était le grand orme... un peu pus loin, au bout de la sente. Le maire : Non, non !... j’ te dis que j’ai vu le cadastre ; l’orme est su’ Bucy... Comme tu voués, à dix pas de pus... Le cantonnier : C’était ben du tracas de moins ! Le maire : Ben sûr... Tout de même, c’est pas à dix pas de pus qu’il est tombé... c’est icite !... Le cantonnier : Ça, on pouvait pas y en empêcher ; mais... Le maire : Vouéyons, Mitaine, faut en fini’. Ecoute moue. On se connaît pas d’hier tous les deux. Tu te rappelles, dans le temps, quand j’allais en classe, c’était à qui qui ferait des niches au maître d’école... et pus tard, qu’on était conscrits, j’en avons-t-y fait des bonnes blagues ? hein ! ce coup que j’étions descendus dans la cave à défunt mon père !... Dis, tu te rappelles, y en avait jamais un pour vendre l’aut’e ! eh ben, là, Mitaine, j’ai eune idée... dans l’intérêt de la commune — comme de juste ! — Le cantonnier : Moue itou ! lexis, j’en ai eune ! Le maire : Tant mieux... ça fait deux !... Le cantonnier : Savouér ?... si c’était la même ? Le maire : V’là... je retirons le corps de là-d’dans... je le chargeons dans ta berrouette... Le cantonnier : J’écarte ma pieau de bique par en-dessus... Le maire : T’écarte ta pieau de bique par en-dessus... voui !... tu y es !... t’avais ben même idée que moué... ‘acre Mitaine, va !... Tu fous queuques tours de roue à ta berrouette... Le cantonnier : Et pouf !... je déhotte not’ traîneux su’ Bucy... Mais, v’la !... Le maire : Allons-y... et magnons-nous ! Le cantonnier : Ah ! c’est dommage que ca puisse pas se dire !... la commune saura jamais ce que t’as fait pour elle, à c’ souèr, lexis ? Le maire : Ça fait ren, Mitaine !... Va... et déhotte-le.... tout de même pas avant que d’être de l’aut’e côté du grand orme... pour être pus sûr !... 13. LES BREMAILLESVers la land’ tout’ ros’ de bremaillesDéval’nt le gas et la garçaille Qoué don’ qu’ c’est pour fair’, si vous plaît ? P’ têt’ -ben qui va qu’ri des balais, P’ têt’ -ben qu’all’ va rentrer ses vaches ? Mais à c’ cas là pourqoué qu’i’s s’ cachent Quand on fait pas d’ mal on craint ren.... D’ quoué qu’alle a peur ? Quoué qu’ c’est qui craint ? Dans la land’ tout’ ros’ des bremailles Rodaill’nt le gas et la garçaille I’ r’gard’nt tous deux, d’ tous les côtés Des fois qu’on s’rait à les guetter En s’apercevant qu’ gna personne I’ mord à mêm’ sa bouch’ mignonne Coum’ dans eun’ mich’ quand il a faim. All’ s’ laiss’ fair’, si ben qu’à la fin, Sur la land, tout’ ros’ de bremailles Roul’ le gas avec la garçaille Et tout en s’en r’tournant, tandis Qui s’ dis’nt tous deux : pas vus, pas pris, Gn’a des brins d’ bremailles qui pendillent Après les cotillons d’ la fille Après les pans d’ la blouse du gas Et l’ mond’ devin’en voyant ça Quoué qu’ont fait l’ gas et la garçaille, Dans la land’ tout’ ros’ des bremailles. 14. IDYLLE DES GRANDS GARS COMME IL FAUT ET DES JEUNESSES BEN SAGESL’ chef-yieu d’ canton a troués mille âm’s, et guère avec.On peut pas y péter sans qu’ tout l’ monde en tersaute ; La moquié du pays moucharde aux chauss’s de l’aut’e, Et les vilains coups d’yeux pond’nt les mauves coups d’ becs Pourtant, su’ les vieux murs nouérs coumm’ l’esprit du bourg, La bell’ saison fait berlancer des giroflées ; Pourtant, dans l’ bourg de sournoués’rie et d’ mauvais’té, Y a des gâs et des fill’s qui sont dans l’âg’ d’amour ! V’là coumme i’s s’aim’nt les galants r’vienn’nt, après l’ouvrage, Par les ru’s oùsqu’ leus bell’s cous’nt su’ l’ devant d’ la f’nét’e : Un pauv’ sourir’ qu’a peur, un grand bonjour bébéte, Deux grouss’s pivouén’s de hont’ qu’éclat’nt su’ les visages, Et c’est tout. I’s font point marcher l’ divartissouèr, Rouet qu’on tourne à deux pour filer du bounheur Et qui reste entre eux coumme un rouet su’ l’armouère Pasque... Eh ! ben, et l’ Mond’, quoué qu’i dirait, Seigneur ! Vous l’avez jamés vu, l’ Mond’, dépecer un coup’e Qu’ les écouteux ont pris en méfait un bieau jour? Et su’ la place, au sorti’ d’ mess’, par pequits groupes, Vous l’avez jamais vu, l’ Mond’, baver su’ l’amour ? Alors, les fill’s renfonc’nt les envi’s qui les roingent, Souffrant tout bas l’ Désir qui piqu’ dans leu’ pieau blanche Coumm’ leu-z-aiguill’ d’acier dans la blancheur du linge, Et les gâs fil’nt, sans bruit, par el’ train du dimanche ; Car la Ville est pas loin ousqu’y a la garnison, L’ Martroué, la Préfectur’, l’Evêché, l’ Tribunal, La Ville, enfin, la Ville oùsqu’on trouv’ des maisons... — Vous savez, des maisons darrièr’ la cathédrale ? Donc, les gâs but’nt au nid des tendress’s à bon compte ; Eun’ grouss’ chouette est guchée au bas du lumério : « Mes p’tits agneaux, on pai’ tout d’ suite ; après on monte ! » Les gru’s accour’nt. « Fait’s-nous d’abord nos p’tits cadeaux ! » Et les gâs pai’nt ben char, étant allés ben loin, C’ que les fill’s de cheux eux voudraient dounner pour ren ! Pis les gothons s’ déb’hill’nt, et, quand leu’ ch’mise est chute, D’vant leu’ corps usagé par le frott’ment des ruts, D’vant leu’s tétons, molass’s coumm’ des blancs fromag’s mous, Les gâs song’nt ; et i’s douèv’nt se dir’ dans leu’song’rie : « Y a des bieaux fruits qui s’ pard’nt dans les enclos d’ cheu nous, Et faut que j’ galvaudons après des poumm’ s pourries ! » Enfin, les pauv’s fumell’s rentr’nt dans les bras des mâles Coumme’ ent’er les limons queuqu’ pauv’ jument forbue, Et pis les v’là qu’as pouss’nt, qu’as tir’nt et qu’as s’emballent Pour charrouéyer les aut’s vars la joué qu’ as n’ trouv’nt pus ! Mais Ell’s ! quand on y pens’, coumme a’s ruraient d’ ben aise, Les Mari’-Clair’ du bourg, les Touénons, les Thérèse, Si qu’a’s s’ trouvaient tertout’s ett’lé’s, pour el’ quart d’heure, A la plac’ des gothons d’ la Vill’, leu’s tristes sœurs, Victim’s coumme ell’s du Mond’ qui t’naille et crucifie Les vierg’s et les putains au nom d’ la mêm’ Morale ! Mais quoué ! « Leu-z-affér’ fait’», le souer, les gâs r’dévalent Vars el’ pays oùsqu’ les attend’nt leu’s bounn’s amies. I’s r’déval’ront souvent ! A’s attendront longtemps ! D’aucuns r’viendront avec du pouéson dans les veines, D’aucun’s dépériront, coumm’ les giroflé’s viennent A mouri’ su’ les murs de la séch’ress’ du temps. Pis, par un coup, avant d’ leur céder l’ fonds d’ boutique, Les vieux disant : « Ma fill’, te fau’ait un bon gâs ! — — Mon gâs, t’ faurait eun’ femm’ pour sarvi’ la pratique ! » I’s s’uniront avec tout l’ légal tralala... L’ blé s’ra d’pis longtemps mûr quand qu’i’s noueront leu’ gearbe. Après bieaucoup d’éguermillage i’s front l’amour, Ayant r’mis au lend’main « c’ qu’i’s pouvaient fère el’ jour, » A caus’ du mond’ qui ment jusque dans ses provarbes. Et i’s d’viendront eux mêm’s ce Monde au cœur infect Qui fait des enfants pour pouvouèr les fer’ souffri Quand qu’arriv’ la saison des giroflé’s fleuries Dans l’ michant bourg de troués mille âm’s, et guère avec. 15. LES BRACONNIERSNot’ chât’lain, qui laiss’ son gibierTrotailler dans ses bois d’ Sologne, Peut pas souffri’ les braconniers ; Et, si jamais i’s les empognent, Ses gardes les livr’nt aussitôt Aux gendarmes qui les emmènent Pour ren, pour un méchant lap’reau Coll’té-z-au mitan d’ ses garennes. Un bon conseil Môssieu l’ chât’lain : Ecoutez-le ben, il en vaut la peine. Veillez-don’ moins su’ vos lapins. Et veillez mieux su’ vot’ chât’laine. Pour pas qu’ son bien soit galvaudé I’ poste un garde au pied d’ chaqu’ chêne Et pass’ tout son temps à l’ garder, Mais, tandis qu’i’ court son domaine A traquer comm’ gibier nouvieau Les mauvais gas qui s’y hasardent, I’ laiss’ sa bell’ dame au châtieau Sans seul’ment y laisser un garde. Un bon conseil Môssieu l’ chât’lain : Ecoutez-le ben, il en vaut la peine. Veillez-don’ moins su’ vos lapins. Et veillez mieux su’ vot’ chât’laine. La pauv’ tit’ femme se dit comm’ ca : « Quelle existenc’ que j’ mèn’, tout de même ! Les braconniers sont des beaux gas, L’ temps doit êt’ moins long quand on aime ! » Et c’est c’ qui fait qu’ pas mal de ceux Qu’on chasse comm’ des bêt’s infâmes Des grands bois de chên’s à Môssieu Rentr’nt dans les draps fins à Madame. En leu’s bras coum’ dans un collet Les mauvais gas lui prenn’nt la taille Et, tout l’ long d’ son p’ tit corps follet, Leu’s gueul’s s’en vont en maraudaille ; Les voleux, d’ pis sa bouch’ fleuri’ Lui prenn’nt un par un, c’ qu’all’a d’ charmes Et quand qu’is y ont tout pris, tout pris, A s’ gard’ ben d’ quérir les gendarmes. Un bon conseil Môssieu l’ chât’lain : Ecoutez-le ben, il en vaut la peine. Veillez-don’ moins su’ vos lapins. Et veillez mieux su’ vot’ chât’laine. 16. LES CONSCRITSV’la les conscrits d’ cheu nous qui passent !...Ran plan plan ! l’ tambour marche d’vant; Au mitan, l’ drapieau fouette au vent... Les v’là ceuss’ qui r’prendront l’Alsace ! I’s vienn’nt d’am’ner leu’ numério Et, i’s s’ sont dépêchés de l’ mett’e : Les gâs d’ charru’ su’ leu’ cassiette, Les gâs d’ patrons su’ leu’ chapieau. Tertous sont fiârs d’ leu’ matricule, Coumme eun’ jeun’ marié d’ son vouél’ blanc ; Et c’est pour ça qu’i’s vont gueulant Et qu’on les trouv’ pas ridicules. I’s ont raison d’ prend’ du bon temps ! Leu’ gaîté touche el’ cœur des filles ; Et, d’ vouèr leu’s livré’s qui pendillent, Les p’tiots vouraient avouer vingt ans. Les vieux vouraient êt’e à leu’ place ; Et, d’vant leu’s blagu’s de saligauds, Des boulhoumm’s tout blancs dis’nt : « I’ faut Ben, mon guieu ! qu’ la jeuness’ se passe... » Et don’, coumm’ ça, bras-d’ssus, bras-d’ssous, I’s vont gueulant des cochonn’ries. Pus c’est cochon et pus i’s rient, Et pus i’s vont pus i’s sont saouls. Gn’en a mém’ d’aucuns qui dégueulent ; Mais les ceuss’ qui march’nt ‘core au pas, Pour s’apprend’e à fair’ des soldats, I’s s’amus’nt à s’ fout’ su’ la gueule. Pourquoué soldats ? I’s en sav’nt ren, I’s s’ront soldats pour la défense D’ la Patri’ ! - Quoué qu’ c’est ? - C’est la France. La Patri’ !... C’est tuer des Prussiens !... La Patri’ ! quoué ! c’est la Patri’ ! Et c’est eun’ chous’ qui s’ discut’ pas ! Faut des soldats !... - Et c’est pour ça Qu’à c’ souèr, su’ l’ lit d’ foin des prairies, Aux pauv’s fumell’s i’s front des p’tits, Des p’tits qui s’ront des gâs, peut-être ? A seul’ fin d’ pas vouer disparaître La rac’ des brut’s et des conscrits. 17. COMPLAINTE DES RAMASSEUX D’ MORTSCheu nous, le lend’main d’ la bataille,On est v’nu quéri’ les farmiers : J’avons semé queuq’s bott’lé’s d’ paille Dans l’ cul d’ la tomb’rée à fumier ; Et, nout’ jument un coup ett’lée, Je soumm’s partis, rasant les bords Des guérets blancs, des vign’s gelées, Pour aller relever les morts... Dans moun arpent des « Guerouettes », J’ n’ n’avons ramassé troués Avec Penette... J’ n’ n’avons ramassé troués : Deux moblots, un bavaroués ! La vieill’ jument r’grichait l’oreille Et v’la-t-y pas qu’ tout en marchant, J’ faisons l’ver eun’ volte d’ corneilles Coumm’ ça, juste au mitan d’ mon champ. Dans c’ champ qu’était eun’ luzarnière, Afin d’ mieux jiter un coup d’yeux, J’ me huch’ dessus l’ fait’ d’eun’ têtière, Et quoué que j’ voués ?... Ah ! nom de Dieu !. Troués pauv’s bougr’s su’ l’ devars des mottes Etaient allongés tout à plat, Coumme endormis dans leu’ capote, Par ce sapré’ matin d’ verglas ; Ils’ taient déjà ràid’s coumme eun’ planche : L’ peurmier, j’avons r’trouvé son bras, Un galon d’ lain’ roug’ su’ la manche Dans l’ champ à Tienne, au creux d’eun’ ra’... Quand au s’cond, il ’tait tout d’eun’ pièce, Mais eun’ ball’ gn’ avait vrillé l’ front Et l’ sang vif de sa bell’ jeunesse Coulait par un michant trou rond : C’était quand même un fameux drille Avec un d’ ces jolis musieaux Qui font coumm’ ça r’luquer les filles... J’ l’ont chargé dans mon tombezieau !... L’ trouésième, avec son casque à ch’nille, Avait logé dans nout’ maison : Il avait toute eun’ chié’ d’ famille Qu’il eusspliquait en son jargon. I’ f’sait des aguignoch’s au drôle, Li fabriquait des subeziots Ou ben l’huchait su’ ses épaules... I’ n’aura pas r’vu ses petiots !... Là-bas, dans un coin sans emblaves, Des gâs avaient creusé l’ sol frouéd Coumm’ pour ensiler des beuttt’raves : J’ soumm’s venu avec nout’ charroué ! Au fond d’eun’ tranché’, côte à côte, Y avait troués cent morts d’étendus : J’ont casé su’ l’ tas les troués nôt’es, Pis, j’ont tiré la tarr’ dessus... Les jeun’s qu’avez pas vu la guarre, Buvons un coup ! parlons pus d’ ça ! Et qu’ l’anné’ qui vient soit prospare Pour les sillons et pour les sas ! Rentrez des charr’té’s d’ grapp’s varmeilles, D’ luzarne grasse et d’ francs épis, Mais n’ fait’s jamais d’ recolt’ pareille A nout’ récolte d’ souéxant’ -dix !... 18. LES ELECTEURSAh ! bon Guieu qu’ des affich’s su’ les portes des granges !...C’est don’ qu’y a ‘cor queuqu’ baladin an’hui dimanche Qui dans’ su’ des cordieaux au bieau mitan d’ la place ? Non, c’est point ça !... C’ tantoût on vote à la mairie. Et les grands mots qui flût’nt su’ l’ dous du vent qui passe : Dévouement !... Intérêts !... République !... Patrie !... C’est l’ Peup’ souv’rain qui lit les affich’s et les r’lit... (Les vach’s, les moutons, Les oué’s, les dindons S’en vont aux champs, ni pus ni moins qu’ tous les aut’s jours En fientant d’ loin en loin l’ long des affich’s du bourg.) Les électeurs s’en vont aux urn’s en s’ rengorgeant, « En route !... Allons voter !... Cré bon Guieu ! les bounn’s gens !... C’est nous qu’ je t’nons à c’t’heur’ les mâssins d’ la charrue, J’allons la faire aller à dia ou ben à hue ! Pas d’abstentions !... C’est vous idé’s qui vous appellent... Profitez de c’ que j’ons l’ suffrage univarsel !... » (Les vach’s, les moutons, Les oué’s, les dindons Pâtur’nt dans les chaum’s d’orge à bell’s goulé’s tranquilles Sans s’ment songer qu’i’s sont privés d’ leu’s drouéts civils.) Y a M’sieu Chouse et y a M’sieu Machin coumm’ candidat. Les électeurs ont pas les mêm’s par’s de leunettes : - Moue, j’ vot’rai pour c’ti-là !.. . Ben, moue, j’y vot’rai pas !... C’est eun’ foutu crapul’ !... C’est un gas qu’est hounnête !... C’est un partageux !... C’est un cocu !... C’est pas vrai !.. On dit qu’i fait él’ver son goss’ cheu les curés !... C’est un blanc !... C’est un roug’ !... — qu’i’s dis’nt les électeurs : Les aveug’els chamaill’nt à propos des couleurs. (Les vach’s, les moutons, Les oué’s, les dindons S’ fout’nt un peu qu’ leu’ gardien ait nom Paul ou nom Pierre, Qu’i’ souét nouer coumme eun’ taupe ou rouquin coumm’ carotte I’s breum’nt, i’s bél’nt, i’s glouss’nt tout coumm’ les gens qui votent Mais i’s sav’nt pas c’ que c’est qu’ gueuler : « Viv’ Môssieu l’ Maire ! ») C’est un tel qu’est élu ! ... Les électeurs vont bouére D’aucuns coumme à la noc’, d’aut’ s coumme à l’entarr’ment, Et l’ souèr el’ Peup’ souv’rain s’en r’toume en brancillant... Y a du vent !.. Y a du vent qui fait tomber les pouères ! (Les vach’s, les moutons, Les oué’s, les dindons Prennent saoulé’ d’harb’s et d’ grains tous les jours de la s’maine Et i’s s’ mett’nt pas à chouèr pasqu’i’s ont la pans’ pleine.) Les élections sont tarminé’s, coumm’ qui dirait Que v’là les couvraill’s fait’s et qu’on attend mouésson... Faut qu’ les électeurs tir’nt écus blancs et jaunets Pour les porter au parcepteur de leu’ canton : Les p’tits ruissieaux vont s’ pard’ dans l’ grand fleuv’ du Budget Oùsque les malins pèch’nt, oùsque navigu’nt les grous. Les électeurs font leu’s courvé’s, cassent des cailloux Su’ la route oùsqu’ leu’s r’présentants pass’nt en carrosses Avec des ch’vaux qui s’ font un plaisi’ - les sal’ s rosses ! - De s’mer des crott’s à m’sur’ que l’ Peup’ souv’rain balaie... (Les vach’s, les moutons, Lés oué’s, les dindons S’ laiss’nt dépouiller d’ leu’s œufs, de leu’ laine et d’ leu’ lait Aussi ben qu’ s’i’s z-avaient pris part aux élections.) Boum !... V’la la guerr’ !... V’la les tambours qui cougn’nt la charge... Portant drapieau, les électeurs avec leu’s gâs Vont terper les champs d’ blé oùsqu’is mouéssounn’ront pas. _ Feu ! qu’on leu’ dit - Et i’s font feu ! – En avant Arche ! Et tant qu’i’s peuv’nt aller, i’s march’nt, i’s marchent, i’s marchent... ...Les grous canons dégueul’ent c’ qu’on leu’ pouss’ dans l’ pansier, Les ball’ s tomb’nt coumm’ des peurn’s quand l’ vent s’cou’ les peurgniers Les morts s’entass’nt et, sous eux, l’ sang coul’ coumm’ du vin Quand troués, quat’ pougn’s solid’s, sarr’nt la vis au persoué V’la du pâté !... V’la du pâté de peup’ souv’rain ! (Les vach’s, les moutons, Les oué’s, les dindons Pour le compte au farmier se laiss’nt querver la pieau Tout bounnement, mon guieu !... sans tambour ni drapieau.) ...Et v’là !... Pourtant les bét’s se laiss’nt pas fer’ des foüés ! Des coups, l’ taureau encorne el’ saigneux d’ l’abattoué... Mais les pauv’s électeurs sont pas des bét’s coumm’s d’aut’s Quand l’ temps est à l’orage et l’ vent à la révolte... I’s votent !... 19. MOSSIEU IMBUMôssieu Imbu est mort, est mort et entarré !Môssieu Imbu !... un gâs qui v’nait d’èt’ décoré Pour pas avouer mis d’ cess’ depis qu’il ‘tait au monde A bagosser : « Imbu !... Imbu !... » et qu’était pus Counnu qu’ sous c’ sobriquet à dix yieu’s à la ronde... Môssieu Imbu est mort, est mort et entarré ! I’ dira pus : « Imbu !... Imbu ! », Môssieu Imbu ! Il avait tro’s, quat’ cépé’s d’ vigne en haut d’ la côte Et queuqu’s minieaux d’ blé dans la plain’ de pus qu’ les aut’es. Pas des mass’s, pas des tas ! pas ben larg’, pas ben long ! Mais assez, pour pouvouèr avouer eune opignon... I’ passait su’ la place en lisant son journal. Il ‘tait républicain !... rouge... anticlérical ! Et c’est pour ça qu’i’ ‘tait, depis troués élections, L’ Maire !... el’ maire ed’ cheu nous !... Môssieu l’ Mair’ ! nom de Guieu ! « Les curés !... » qu’i’ disait — et, i’ d’venait furieux ! — « Des ouésieaux qu’ la République engréss’ dans son sein Et des cochons qui sont s’ment pas républicains ! Et pis qu’i’s prenn’nt pas d’ gants pour chatouiller les fesses Aux femm’s et aux garcaill’s dans leu bouéte à confesse.. Moue !... j’ veux pas qu’ la bourgeoués’ foute el’ pied à la messe ! : C’est vrai !... Mame Imbu foutait pas l’ pied à la messe ! Tout d’ même, il ‘tait cocu... cocu coumme à confesse : « Ah la r’ligion !... qué’s couillonnad’s et qué’s môm’ries ! » Et l’ dégoût l’empougnait si fort qu’à des moments S’il avait pas été c’ qu’il ‘tait : eune houmm’ conv’nab’e : I’ vous aurait craché su’ un Saint-Saquerment ! Mais, quand qu’ c’est qu’i vouéyait passer un régiment, Eun’ vent-vol trifouillait soun âm’ de contribuab’e En révolt’ cont’ les couillounnad’s et les môm’ries ; D’vant l’ drapieau, c’tt’aut’ Saint-Saquerment : c’ti d’ la Patrie ! I’ faisait un salut à s’en démancher l’ bras Et qu’était, ma grand foué ! joliment militaire D’ la part d’un gâs qu’avait jamais été soldat... Il avait ses idé’s su’ les vu’s d’ l’Angleterre C’est avec ça qu’il bouchait l’ vid’ de ses discours Que l’ maît’ d’écol’ passait en r’vu’ pou’ les grands jours De Fête-Dieu laïqu’, de Paradis scolaire : Quatorz’ juillet d’ lampions roug’s et d’ pompiers brinzingues, Distribution d’ prix aux mardeux à qui qu’on s’ringue Du républicanisse à les en fer’ querver : Il ‘tait memb’ d’eune flopé’ d’ sociétés d’ brav’s gens, Et des foués président d’ quoué qu’il ‘tait honoré - Société d’ secours mutuels et d’ gymnastique, Société d’ tir et société d’ musique ! Société d’ tempérance et, tout en mêm’ temps, Société des francs-buveurs : les « Amis d’ la vigne » ! Il avait fait planter su’ la plac’ du village Eune estatu !... pasque la coummeun’ d’à-couté N’ n’avoit eun’ ! et qu’ j’étions ben autant qu’ nous vouésins !... ...C’est l’ poltrait d’un gâs qu’ mém’ les vieux ont pas counnu ! Qu’est p’tét’ qu’eun’ blagu’ !... Mais là !... j’avons nout’ estatue Et les deux chians au boucher ont eun’ pissoquière !... D’aucuns ont dit qu’il ‘tait pus urgent d’ fére un ch’min, Mais allez don’ contenter tout le monde et son père ! Le jour d’ l’inauguration de c’tte sapré’ garce D’ estatu’ ! yieau tombait, tombait coumm’ vach’ qui pisse ! Môssieu Imbu gangna chaud et fréd sous l’avarse Et est décédé, coumm’ les lett’s de deuil le disent : — A cinquante ans !... muni des saquerments d’ l’Eglise ! -– Môssieu Imbu est mort... est mort et entarré !... Ah ! que’ souleil et que’ bon vent su’ les luzarnes, Et coumm’ le vin mouss’ frais aux pichets des aubarges Et qu’ la fille est don’ gent’ qu’écart’ des draps su’ l’harbe ! Moué, ça m’ dounne envi’ d’ viv’ de rev’ni’ d’ l’entarr’ment ! ...C’est ça, bon Guieu !... tant qu’a dur’ra... vivons la vie ! Vivons-la ! en restant des houmm’s tout bounnément Et sans l’embistrouiller d’étiquett’s d’épic’rie Ou d’ sentiments d’ bazar en chiffon et far-blanc !... Leu’ politique empéch’ pas les fleurs d’ét’ jolies ! Et, pisqu’ Môssieu Imbu est mort et entarré, I’ bouéra pus !... Dis don’, la belle, au coin du pré... Buvons, nous aut’s el’ vin est bon !... A nout’ santé ! Et chiffounnons les draps qu’ tu t’en viens d’écarter ! 20. LE DERAILLEMENTUn peineux avait pris eun’ fouésL’ mêm’ train qu’ son voisin : un bourgeoués. L’ train les roulait ben doucett’ment Chacun dans leu’ compartiment : En troisièm’ classe el’ pauv’ peineux Guerdillait su’ un banc pouilleux, Tandis qu’en première el’ bourgeoués S’ carrait l’ cul dans l’ v’lours et la souée. Mais tt’ à coup, avant d’arriver V’là l’ train qui s’ met à dérailler, Et, quand qu’après on détarra Deux morts qu’aveut pus d’ têt’s ni d’bras, Parsounn’ put dir’ lequel des deux Qu’était l’ bourgeoués ou ben l’ peineux. 21. SUR UN AIR DE REPROCHEA l'assemblée du paysQuand j'étais petit, petit, Guère plus haut qu'une botte, Mon père, un bon paysan, Me disait, en me glissant Un gros sou dans la menotte Tiens, p'tit gâs V’là deux sous pour ton assemblée... Tiens, p'tit gâs V'là deux sous, mais n’les dépens' pas. Avec les autres morveux Je courais, le cœur joyeux, Jusque sur la place en fête Ecoutant le carillon De l’inutile billon Qui tintait dans ma pochette. Les prestes chevaux de bois Obéissant à la voix Des orgues de Barbarie, Les chevaux de bois tournaient Habillés de beaux harnais Où brillaient des pierreries. Chez le marchand de gâteaux Installé dessous l’ormeau C'était la galette au beurre, Et les sucres d'orge blonds, Et la roue aux macarons Qu'une plume d'oie effleure ! Devant tout ce Paradis Je restais abasourdi, N'osant rien dire et rien faire, Et je retournais chez nous Pleurant, avec les deux sous Que m'avait donnés mon père. Ainsi, belle aux yeux charmants Qui dites m'aimer vraiment, Sans vouloir me laisser prendre Parmi votre corps rosé Ce que j'appelle un baiser, Près de vous je crois entendre : Tiens, p'tit gâs V'là deux sous pour ton assemblée ! Tiens, p'tit gâs V'là deux sous, mais n’les dépens' pas ! 22. LA TOINONParaît qu’ la Toinon qu’est parti’ coumm’ bonnePour aller sarvi’ cheu des gens d’ Paris S’appelle à présent : Madam’ la Baronne ; Moué, je suis resté bêt’ment au pays. Ça ne m’a jamais v’nu dans la caboche Ed’ coller un « De » par devant mon nom... Et pourtant, du temps qu’ j’étais tout p’tit mioche, J’allais à l’école avec la Toinon ! A ses « tous les jours » all’ port’ robe ed’ soie, All’ sait s’ parlotter à chaqu’ mot qu’all’ dit ; Moué, je suis resté bête coumme eune oie, J’ porte la mêm’ blous’ l’ dimanche et l’ sam’di. Tout’ la s’maine, all’ mang’ d’ la dinde à la broche ; Moué, tout’ moun anné’, j’ bouff’ que du cochon... Et dir’ que, du temps qu’ j’étais tout p’tit mioche, J’allais à l’école avec la Toinon ! All’ reçoué cheu-z-ell’ des monsieux d’ la ville, Des gens coumme i’ faut qui li font la cour... Et qui la fourniss’nt de bieaux billets d’ mille ; Moué, j’ suis un pauv’ gâs sans l’ sou, sans amour ! Ell’ , du moins, all’ vit sans que l’ monde i’ r’proche ; Moué, quand que j’ bracounne, on m’ fout en prison... Et dir’ que, du temps qu’ j’étais tout p’tit mioche, J’allais à l’école avec la Toinon ! Ça m’ gên’ d’ la vouer riche et d’ me vouer si pauve, Ça m’ saigne ed’ songer qu’elle aime un tas d’ gâs Qu’entr’nt avec leu’s sous au fond d’ soun alcôve Et qu’ont les bécots qu’all’ me baill’ra pas... Aussi, j’ dounn’rais ben tout c’ que j’ai en poche : Ma pip’, mon coutieau, mes collets d’ laiton, Pour êt’ ‘core au temps oùsque, tout p’tit mioche, J’allais à l’école avec la Toinon ! |